« Hypermarchés, la chute de l’empire », sur Arte : un modèle de consommation dépassé
Rémi Delescluse a enquêté sur les méthodes de la grande distribution, en interrogeant des fournisseurs et des responsables de grandes enseignes.
« Ce qui est important, c’est de briser les jambes des fournisseurs. Une fois [qu’ils sont] au sol, on commence à négocier. » Ces propos du directeur d’un groupe de la grande distribution sont rapportés par Marwan Mery, expert en négociation d’ADN Group, pour illustrer la violence des négociations entre les acheteurs de la grande distribution et leurs fournisseurs. Il n’est pas le seul à se livrer, dans ce détonnant documentaire consacré aux hypermarch
Après l’enquête très personnelle Les Enfants du secret, sur la quête des enfants nés de donneurs anonymes, Rémi Delescluse s’intéresse aux grandes surfaces, pour dénoncer leurs pratiques scandaleuses, voire illégales, mais aussi pour révéler leur détresse économique croissante, bien qu’ils contrôlent 70 % de l’alimentaire en Europe.
Le diagnostic débute par un rappel historique avec l’ouverture, en 1963, du premier supermarché Carrefour, dans une société de consommation qui bat son plein. A l’époque, le chiffre d’affaires attendu par la direction pour 1970 était de 1 milliard de francs pour une marge brute de 15 %, soit 150 millions ; soixante ans plus tard, les marges ont fondu.
En cause principalement, le développement, accéléré par la pandémie, des plates-formes d’e-commerce. En concurrençant les grandes surfaces sur les produits non-alimentaires, à fortes marges, elles les contraignent à durcir leurs négociations sur l’alimentaire, à marges plus faibles. D’où le recours aux centrales d’achat, qui accentuent le déséquilibre entre acheteurs et vendeurs. Même Danone, en 2018, a perdu son bras de fer face à la centrale AgeCore (24 000 magasins, dont ceux d’Intermarché…).
« Vaches à lait »
Un fournisseur, le visage flouté, venu avec des enregistrements de négociations portant sur un délit de marchandage, montre des vidéos avec des commerciaux contraints de participer aux inventaires. Ces « services gratuits » seraient la dernière trouvaille des hypers pour s’en sortir financièrement, assure Jérôme Coulombel, ancien directeur juridique contentieux chez Carrefour (1991-2018) à Falaise (Calvados). Cet autre témoin-clé va révéler par ailleurs comment les franchisés, « ceux qu’on appelle en interne les vaches à lait », sont exploités.
« Le pouvoir de nuisance [de la grande distribution] est tel que cela crée un sentiment d’impunité, d’invulnérabilité », regrette Marwan Mery. Pourtant le vent tourne, suggère la suite du film, qui revient sur le travail, en 2019, de la commission d’enquête parlementaire sur « La situation et les pratiques de la grande distribution », présidée par le député Thierry Benoît (UDI, Ille-et-Vilaine) et à laquelle participe le député LREM de l’Aube Gregory Besson-Moreau – témoin ici. Parmi les échanges, parfois vifs, l’audition de Michel-Edouard Leclerc, traits tirés, est particulièrement instructive.
Pendant ce temps, aux Etats-Unis, Amazon s’est lancé dans l’épicerie et invente peut-être le supermarché de demain, dans ses douze Amazon Fresh créés en six mois, équipés notamment de caddies connectés qui évitent le passage en caisse. En Chine, un ex-cadre de Walmart parie sur la livraison rapide, et 150 ingénieurs techniciens planchent sur le développement d’un véhicule électrique autonome.