En faisant appel à un négociateur professionnel, la direction de l’usine de Béthune a conclu un accord salué par les deux parties.
Des phrases courtes, un texte concis avec le moins de négations possible, une attention à choisir le terme juste. Il faut anticiper l’impact psychologique des mots, surtout ne pas donner de faux espoirs. C’est avec ces règles à l’esprit que Marwan Mery, fondateur d’ADN Group (l’Agence des négociateurs), a aidé à rédiger le texte par lequel les salariés de Bridgestone apprendront, le 15 septembre 2020, la fermeture de leur usine à Béthune dans le Pas-de-Calais . Quelques jours plus tôt, le dirigeant de 45 ans a été sollicité par le fabricant japonais de pneus pour contribuer à la négociation. A cette époque, on redoute des dizaines de licenciements, mais personne ne s’attend à la cessation totale d’activité du site, où travaillent 863 salariés.
La brutalité de la décision, le grand nombre de personnes concernées, l’intervention des politiques –le président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand dénoncera un « assassinat prémédité » –, les précédents chez Goodyear à Amiens ou Continental à Clairoix… Nombreux étaient les éléments à laisser craindre un conflit dur. Pourtant, le 12 février, pas un seul pneu n’avait été brûlé quand un accord a été signé avec l’ensemble des syndicats sur les conditions de départ. Le texte a été aussitôt salué par l’avocat de l’intersyndicale comme une «vraie réussite » et par la direction comme «l’un des plans les plus ambitieux proposés dans la profession». Le plan de sauvegarde de l’emploi a été validé par la Direccte, l’administration du Travail le 16 mars dernier. L’usine fermera définitivement le 3 mai.
L’enjeu était de ne jamais transiger sur un point: la fin de la production.
Cette issue apaisée correspond à la fin souhaitée par Marwan Mery : « Une négociation ne se clôture que sur une perception. Elle est réussie quand les organisations syndicales et la direction sont satisfaites.» Les 32 journées de discussions ont néanmoins été tendues, notamment au début. Dans l’ombre, par téléphone à chaque levée de séance et tous les soirs, Marwan Mery a épaulé les responsables de Bridgestone –eux aussi concernés par les licenciements. Il les a entraînés avec des jeux de rôle où il interprétait la partie « adverse », leur a dessiné «une cartographie» des acteurs, leur a recommandé de ne jamais couper la parole à ceux qui s’opposaient afin que l’émotion puisse s’exprimer : «Ils sont face à des gens qui sont sur le point de tout perdre. L’enjeu était de ne jamais transiger sur un point: la fin de la production. Avec honnêteté, le prix de la crédibilité, il a fallu réconcilier les positions. La force pendant ces longs mois, c’est que le dialogue n’a jamais été rompu. Il y a eu des accrochages et des propos virulents, mais jamais de séquestration ni de violence. »
Toutes les négociations n’aboutissent pas ainsi. Marwan Mery a lui-même été séquestré à sept reprises. Il estime que, sur 80 négociations par an dans le monde entier, qu’elles soient sociales, commerciales, de crise, diplomatiques ou médicales, seules 2% se soldent par un échec. Le reste du temps, ADN Group organise des formations à la détection du mensonge, à la négociation complexe ou à la gestion de crise, suivies par 3000 personnes par an. L’agence de négociateurs, qui réalise un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros par an, a rarement été autant approchée pour des négociations sociales. Ces derniers temps, jusqu’à cinq entreprises la contactent chaque semaine.